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Le Devoir inaugure aujourd’hui un rendez-vous baptisé « Coup d’essai », qui met en lumière un ouvrage dont la pensée a attisé notre curiosité. Nos lecteurs trouveront matière à réflexion autant que prétexte à discussion dans cet espace ouvrant sur le monde des idées, et ce, dans tous les domaines.
Au temps pas si lointain où les services d’un médecin n’étaient jamais gratuits, c’est souvent dans les jardins et les armoires des femmes que les Québécois allaient chercher des remèdes à leurs maux. On pressait un citron pour apaiser un rhume, on infusait un peu de passiflore pour calmer son anxiété, et on coinçait un clou de girofle contre une dent malade pour engourdir la douleur pour une heure.
Des infusions aux pommades, en passant par les cataplasmes ou les concoctions, on tentait d’apaiser, sinon de soigner, les indigestions, les grippes, voire la mélancolie et la dépression, avec les moyens du bord.
À la fois agricultrice et passionnée d’histoire, Mia Dansereau-Ligtenberg a voulu consigner ces remèdes de grand-mère, avant qu’ils ne disparaissent à jamais de notre mémoire. Elle en a fait un livre, Les remèdes de grand-mère au Québec, publié chez Marchand de feuilles.
« Ça vient de ma mère, qui nous élevait dans un esprit “granole”, dans les années 1990, dit-elle, jointe en Mauricie où elle fait partie d’une coopérative de production de paniers biologiques. Quand on était petits, elle apaisait nos blessures avec du beurre de karité, et les démangeaisons d’herbe à puce avec du calendula macéré dans l’huile. »
Déjà, au secondaire, Mia Dansereau-Ligtenberg faisait partie d’un groupe d’amies qui s’intéressaient de près à la médecine par les plantes, presque un cercle de sorcières, qui partageaient leurs plants de millepertuis contre la déprime ou de trèfle rouge pour l’énergie.
D’efficace à farfelu
Pourtant, Les remèdes de grand-mère au Québec, qui est aussi le produit de la maîtrise en histoire de Mia Dansereau-Ligtenberg, n’est pas un livre de conseils. Elle y recense tant des recettes de grand-mère qui ont fait leurs preuves que les propositions les plus farfelues, comme celles tirées de la théorie des signatures, selon laquelle une plante peut guérir les maux de l’organe auquel elle ressemble. C’est « une théorie antique », écrit-elle, qui a été reprise au XVIe siècle par le médecin suisse Paracelse.
Tout ce savoir ancestral, qui s’est transmis de génération en génération, et a été cultivé dans le carré de sorcière des jardins de nos ancêtres, est d’ailleurs empreint de fortes croyances, même dans le cas où les conseils prodigués le sont par l’entremise de revues ou de journaux.
« Ces conseils donnés dans les journaux et les revues sont intimement liés à la médecine populaire tant par les ingrédients utilisés que par certaines croyances, comme dans le cas du camphre, dont l’odeur forte permettrait d’éloigner le mal, ce qui s’apparente aux remèdes à l’eucalyptus contre le rhume d’aujourd’hui on sait maintenant que c’est la vapeur d’eau qui débouche le nez plus que l’eucalyptus ! » écrit-elle.
« Au Québec, le naturel et le magico-religieux sont encore intimement liés, au début du XXe siècle, constate-t-elle, ce qui fait de la médecine populaire un mélange d’observations, d’expériences et de croyances. »
En entrevue avec Le Devoir, elle relève que « c’était une époque où les gens étaient peu éduqués et avaient peu accès au savoir, qui était ni très développé ni très accessible. On vivait dans un monde de croyants, et la religion catholique était partout. C’était important de croire. Cela faisait partie de la conception du monde ».
À l’inverse, aujourd’hui, des remèdes de grand-mère sont testés scientifiquement et prouvent leur efficacité, poursuit Mia Dansereau-Ligtenberg, et « on revérifie les résultats de remèdes dont les recettes ont été transmises de génération en génération ».
Le savoir des femmes évacué
Car il faut le dire, les femmes et leur savoir ont été complètement évacués du domaine des soins, au moment de la création du système de santé universel.
« Cela a été fait de façon unilatérale, poursuit Mia Dansereau-Ligtenberg. Ils ont pris en bloc tout ce qui était médecine populaire, savoir des sages-femmes et des guérisseurs et ont imposé la médecine scientifique, et ça a vraiment cassé l’esprit. La pratique de sage-femme a d’ailleurs été illégale pendant une bonne centaine d’années. »
En introduction de son livre, l’autrice précise qu’en médecine populaire, il n’y a pas de tour d’ivoire, dans laquelle se réunissent des experts, « il n’y a que des gens qui la pratiquent, principalement des femmes et des mères qui suivent la tradition orale ».
C’est ainsi que la recette de « mouche de moutarde », qu’on applique sur son torse quand on est enrhumé, a traversé les générations jusqu’à elle. En proposant un inventaire, bien subjectif d’ailleurs, de ces pratiques, accompagné des jolies illustrations de Mathilde Cinq-Mars, l’historienne espère les sauver de l’oubli.
Mia Dansereau-Ligtenberg ne milite en aucun cas pour une médecine entièrement naturelle ou biologique, sauf peut-être pour les affections bénignes. Elle a constaté, en poursuivant ses études, l’extraordinaire avancée que les vaccins ont fait faire, notamment, à la médecine moderne. Elle reconnaît cependant que, encore aujourd’hui, bien des gens n’aiment pas se rendre chez le médecin et préfèrent se soigner seuls. « C’est peut-être un signe qu’il faut retrouver l’humanité dans le système, et mettre l’accent sur une relation médecin-patient plus égalitaire. »
Les remèdes de grand-mère au Québec
Mia Dansereau-Ligtenberg, Éditions Marchand de feuilles, Montréal, 2021, 190 pages.
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